Auteur : Stéphane Allaire
Depuis quelques années, le terme " communauté d'apprentissage " gagne en popularité dans le domaine de l'éducation. Cette nouvelle forme de conceptualisation de la classe s'inscrit tout à fait dans la lignée des nouveaux programmes de formation puisqu'elle permet aux apprenants d'occuper une place plus importante dans les activités auxquelles ils prennent part et de développer des compétences en lien avec la société du savoir.
Communauté d'apprentissage et pédagogie par projets
Bien que les communautés d'apprentissage s'inscrivent dans le cadre du constructivisme, il ne faut pas les confondre avec la pédagogie par projets. Comparativement à l'approche par projets qui met surtout l'accent sur une tâche à accomplir - la réalisation d'un produit tel un site Web, à titre d'exemple - une communauté d'apprentissage s'intéresse davantage aux tenants et aboutissants d'un objet qui est partagé par un groupe d'individus. En faisant appel au potentiel de chaque individu, le groupe se donne pour mandat de mieux comprendre une problématique, un sujet ou une question qui le préoccupe. La compréhension construite par le groupe peut être représentée à l'aide d'un produit final, mais cette étape est accessoire et ne constitue pas le cur des activités d'une communauté d'apprenants.
Un modèle novateur: la communauté d'élaboration de connaissances (knowledge building)
Depuis quelques années déjà, l'Ontario Institute for Studies in Education (OISE) de l'Université de Toronto s'intéresse à la pédagogie de l'élaboration de connaissances. Ce modèle vise à développer de nouvelles connaissances, ce qui permet d'aller au-delà des pratiques exemplaires existantes. Dans le contexte de la classe, le but est de transformer la dynamique de travail de sorte à ce que les élèves adoptent un comportement de chercheur. L'enseignant fait en sorte qu'ils identifient des questions qui les préoccupent afin que leur apprentissage soit le plus authentique possible. Ils doivent ensuite émettre des hypothèses à propos de leur sujet de recherche. À cette étape, la diversité des hypothèses émises crée certains déséquilibres au sein du groupe, ce qui amène les élèves à recourir à des preuves qui permettent de justifier ou d'infirmer les points de vue présentés. Dès qu'une réponse est apportée, elle suscite un nouveau questionnement, ce qui permet aux élèves d'établir des buts d'apprentissage plus ambitieux en tenant compte de ce qui a été découvert ou compris antérieurement. Ainsi, le processus d'élaboration est infini et les idées peuvent être constamment améliorées, d'où l'importance d'accepter les erreurs et de travailler à partir d'elles au lieu de les rejeter et de vouloir faire assimiler des bonnes réponses. Il va sans dire que cette façon de faire est passablement différente des méthodes d'enseignement conventionnelles et des méthodes pédagogiques contemporaines.
Principes à la base d'une communauté d'élaboration de connaissances
La responsabilité collective est l'un des éléments clés permettant de soutenir une communauté d'élaboration de connaissances. Il doit y avoir une préoccupation collective constante en regard de la croissance du savoir de la communauté. Ainsi, l'accent n'est pas mis sur ce que chaque individu peut apprendre de façon individuelle mais plutôt sur ce que les participants peuvent construire ensemble. On ne saurait passer sous silence l'importance du dialogue dans le contexte d'une telle pédagogie. Il est en quelque sorte le moteur de la construction des connaissances puisqu'il alimente les interactions entre les participants et leur permet de partager des savoirs et des arguments, et de soulever de nouveaux questionnements qui les préoccupent. En outre, il n'y a pas de moment prédéterminé pour faire de nouvelles découvertes. Le processus s'intègre aux activités quotidiennes de la classe et celles-ci peuvent également être enrichies des expériences que les apprenants vivent à d'autres moments. Soulignons pour terminer que la classe est gérée de façon démocratique, c'est-à-dire que les élèves sont impliqués dans les décisions qui sont prises.
Un outil de collaboration : Knowledge Forum
Certains se demanderont comment gérer le dialogue qui a lieu entre les membres d'une communauté. Une équipe basée à OISE/UT a mis sur pied un logiciel, le Knowledge Forum (KF), qui permet de consigner par écrit les interactions et de soutenir la collaboration. Qu'on se le dise dès le départ, le KF n'a pas été conçu pour mémoriser une liste de connaissances bien ciselée. Il s'agit plutôt d'un logiciel qui supporte la résolution de problèmes et l'investigation en groupe. Le travail sur le KF s'orchestre autour de deux principaux éléments, soit la perspective et la note. La perspective constitue un espace de travail à l'intérieur duquel les participants abordent un sujet particulier. Quant aux notes, elles sont des productions qui peuvent contenir du texte et des dessins. Elles illustrent la compréhension que chaque participant a du sujet. L'écriture d'une note est accompagnée d'aides métacognitifs qui permettent aux apprenants de cerner leurs intentions afin de garder le cap sur le but établi. Les participants ont la possibilité de lier graphiquement leur note à celle d'une autre personne si leur idée vient compléter celle d'un collègue. Plus le travail progresse, plus la disposition neuronale des notes (voir image 1) à l'intérieur de la perspective nous permet de constater la profondeur de l'exploration des membres de la communauté. Les contributions des participants ne sont pas statiques et peuvent être améliorées à la lumière de nouvelles informations, preuves, constatations ou expériences. Lorsque les participants croient avoir fait le tour d'une question, ils peuvent synthétiser l'ensemble de leurs contributions et formuler une nouvelle question de recherche qui tiendra compte du travail accompli.
Image 1
Les images A à D sont un exemple de progression du discours réalisé à l'aide du Knowledge Forum.
Note A : un élève s'interroge sur les moyens à utiliser afin de lutter contre le ravage des récoltes agricoles.
Note B : un élève identifie les causes potentielles du ravage des récoltes.
Note C : un élève apporte un complément d'information à la note B quant aux causes du ravage des récoltes agricoles.
Note D : un élève identifie une nouvelle variable à prendre en compte dans l'exploration de la problématique : le maintien de la stabilité de l'écosystème.
La pédagogie de l'élaboration de connaissances représente un défi intéressant puisqu'elle tente de transformer le processus d'apprentissage des classes, qui est trop souvent artificiel, afin qu'il corresponde davantage à la façon dont nous apprenons dans la vie de tous les jours, c'est-à-dire en trouvant des réponses à des questions qui nous préoccupent et qui proviennent d'un contexte réel afin que nous puissions réinvestir nos découvertes et nos expériences.